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Histoire du village de Steenkerque(suite) Bataille de 'Steinkerque' par Pierre de Ségur :A trois heures du matin, un des dragons de M. de Tracy vint réveiller le maréchal Luxembourg . On voyait, disait l'estafette, une grosse colonne de cavalerie ennemie qui s'avançait vers Sainte-Renelle et qui obliquait du côté d'Enghien. A la même heure, un de nos éclaireurs, posté au loin au moulin de Haute-Croix, mandait la même nouvelle . Ce dernier ajoutait que ce n'était, selon toute apparence, qu'une escorte de fourrageurs car des soldats fauchaient autour des escadrons. Cet avis semblait confirmer l'information envoyée par Millevoix et Luxembourg n'y attacha d'abord qu'une médiocre importance. Deux heures plus tard, second message de M. de Tracy : ayant poussé plus loin, il avait découvert d'épaisses masses d'infanterie qui se glissaient « à lu sourdine » derrière la cavalerie . Il pensait que c'était "toute l'armée du prince d'Orange ". L'affaire devenait plus sérieuse . Malade et épuisé par la fièvre, davantage encore par l'action violente de la médecine du temps, le maréchal Luxembourg n'hésita plus. Il se leva, sauta en selle, piqua des deux vers le bourg de Steinkerque et gravit une hauteur d'où Fort dominait la contrée. Il y fut vite rejoint par son état-major qu'il avait fait prévenir en hâte . C'étaient les ducs du Maine et de Chartres, le prince de Conti, le duc de Bourbon, les deux princes de Vendôme, le maréchal de Villeroy, le duc d'Elbeuf et le prince de Turenne . « La troupe dorée », ainsi qu'on les appelait, la plupart à demi vêtus et à peine arrachés au sommeil. Le coup d'oeil qui s'offrit à eux ne laissa plus de place au doute . Aussi loin que portait la vue, la plaine, étroite et longue, était comme « fourmillante de troupes » . Elle se trouvait alors hérissée de mousquets, de piques, de baïonnettes que faisaient étinceler les premiers rayons du soleil . Une puissante armée de quatre-vingt mille hommes où flottaient les drapeaux de l'Angleterre, de l'Espagne, de l'Empire et des Provinces Unies et dont la première colonne n'était qu'à deux milles de distance . C'était bien une surprise, autant que la chose est possible entre deux grandes armées. Une surprise dans un camp où l'arme mobile et rapide, la cavalerie, était incapable d'agir. Rarement capitaine se vit-il dans une passe plus critique, et de ce menaçant péril, Luxembourg ne pouvait s'en prendre qu'à soi-même. Il avait mal choisi son camp . Il avait cru à la légère des indications, fausses et négligé de prime-abord celles qui étaient exactes. Sa faute était flagrante mais il la répara de façon magnifique. Luxembourg était bien le chef qu'il fallait en des extrémités semblables. Jamais ses surprenantes facultés d'homme de guerre ne se déployaient plus à l'aise. L' imminence du danger décuplait son sang-froid et la justesse de son coup d'oeil, donnait à son esprit une lucidité sans pareille et restituait même, aurait-on dit, la force et la santé à ses membres débiles. À la minute, le plan du maréchal Luxembourg fut fait. Parmi le silence consterné de tout son entourage, sa voix, nette et vibrante, donna les instructions . Luxembourg régla les postes et distribua les rôles sans omettre un détail et avec un calme qui rendit la confiance aux plus abattus. Tandis que dans le camp Français on battait la générale et qu'on faisait prendre les armes aux soldats endormis; Luxembourg reconnaissait le champ de bataille, fixait la zone d'action et s'assurait des points essentiels. C'est sur sa droite que se fera « la véritable attaque », aussi est-ce vers Steinkerque que Luxembourg accumula ses grosses masses d'infanterie. Comme le temps pressait et que, d'un instant à l'autre, on pouvait avoir l'avant-garde ennemie sur les bras pendant que les lignes se formaient, le maréchal Luxembourg se saisit des troupes qui se trouvait à sa portée ( brigade de Bourbonnais, quelques escadrons de dragons ) et les jeta en avant . Il les mena dans une pointe hardie, « à cinq cents pas du front de bandière », afin de recevoir le premier choc et ralentir la marche des Alliés. Derrière eux, la Maison du Roy formait comme un rempart épais sur cinq lignes de profondeur . Cette troupe d'élite s'appuyait au bourg de Steinkerque et se trouvait flanqué à droite par un ruisseau qui l'empêchait d'être tournée. « Comme nous jugions, dit Luxembourg, que la première ligne, après avoir soutenu un grand feu, ne pourrait peut-être pas toujours résister, je pensai qu'il fallait, pour éviter la confusion, tenir les corps séparés les uns des autres, pour les faire combattre à propos et les envoyer où il faudrait ». La cavalerie Française, commandée par le duc du Maine, fut expédiée au delà d'Enghien. Les haies, les bosquets et les fossés ne lui permettront pas les charges . Cependant elle pourra du moins intimider l'ennemi en menaçant sa ligne de retraite. Des courriers partirent au galop chercher la division du marquis de Boufflers qui campait à trois lieues de là. La précaution d'ailleurs se trouva superflue : cet excellent lieutenant, entendant le bruit du combat, s'était mis de lui-même en route et courait au canon. Ces ordres furent donnés et ces mouvement s'exécutèrent avec une célérité rare. Pourtant, si grande que fût la diligence, rien n'était terminé et dans une partie de l'armée Française la confusion régnait encore lorsqu'on vit déboucher, vis-à-vis de Steinkerque, une forte colonne d'infanterie ennemie . C'était une division Anglaise avec un détachement Danois. A leur tète se trouvait le duc de Wurtemberg. On s'attendait qu'ils poussassent en avant; nul ne sait, s'ils l'eussent fait, ce qui serait advenu. « Nous étions dans le camp Français ! » s'écrie d'un ton de désespoir le comte de Mérode-Westerloo. La brigade de Bourbonnais, la seule qui fût arrivée à son poste, n'eût pu manquer d'être écrasée et le village de Steinkerque tombait au pouvoir des Alliés . D'ailleurs l'habileté, si grande qu'elle fût, du général français eût grande peine à sauver la partie. Mais, à l'étonnement général, l'avant-garde ennemie s'arrêta et se mit posément en bataille . Elle demeura près de quatre heures en place sans faire aucun mouvements . Telle était ( on le sut plus tard ) l'injonction formelle de Guillaume, auquel cette singulière tactique fut vivement reprochée par ses contemporains. La cause en fut l'inquiétude que lui inspirait le retard de son l'aile droite égarée dans les défilés et le désir d'attendre, avant d'engager le combat, que l'on fût fixé sur son sort. D'autres y voulurent voir, ce qui parait moins vraisemblable, « des raisons politiques » . Une certaine méfiance de ses Alliés le détournant de risquer seules les forces Britanniques sans le soutien des troupes confédérées . Le soir de la bataille, le jeune comte de Mérode eut la témérité d'interroger Guillaume à ce sujet : « Il sourit sous son grand chapeau, et ne dit mots ». Peut-être trouvera-t-on une explication plus plausible dans la confidence que Dickweldt, présent le jour de l'affaire au quartier des Alliés, fit une semaine plus tard à l'un de nos agents qu'il rencontra dans la ville de Bruxelles : ''En voyant, dit l'Hollandais, au front du camp Français, vos troupes avancées sous les armes et attendant la choc de pied ferme, Guillaume « ne douta point que le maréchal de Luxembourg eût été averti de son dessein », et que cette première ligne, hardiment déployée, ne fût soutenue par toute l'armée rangée derrière elle en bataille. Croyant ainsi le coup manqué, il n'osa risquer une attaque avant d'avoir tous ses corps sous la main. '' L'audace du maréchal Luxembourg et sa présence d'esprit firent donc perdre à son adversaire le bénéfice de la surprise et rétablirent du coup la plus grande partie de nos chances. Les hostilités débutèrent par une longue canonnade. L'artillerie des Alliés, nombreuse et bien servie, ouvrit vers neuf heures du matin un feu nourri sur les lignes Françaises, "sans que le canon de Votre Majesté ne pût y répondre " écrit Luxembourg au Roy parce qu'il n'était pas encore arrivé. Il vint bientôt après. Une de nos batteries Française fut placée auprès de la brigade de Bourbonnais pour appuyer nos forces d'avant-garde. Pendant ce temps, le maréchal Luxembourg gagnait le cimetière de Steinkerque « pour découvrir, dit-il, si les ennemis ne tenteraient pas d'en passer le ruisseau; nous reconnûmes qu'ils avaient eu la bonté de n'y point penser ». Comme il terminait « cette promenade », Luxembourg entendit, aux avant-postes, une mousquetade extraordinaire. Il comprit que l'affaire "commençait pour de bon "et revint à toute bride vers le théâtre de l'action . Il n'était pas loin de midi quand il reprit son poste de combat . Le point d'attaque était bien tel qu'il l'avait d'abord pressenti. La division Anglaise, commandée par Mackay, s'était ruée « avec de grands cris » sur la brigade de Bourbonnais, accompagnent cette charge « d'un feu épouvantable ». Elle fut reçue avec fermeté et les deux troupes se mêlèrent de si près que « les mousquets s'entrecroisaient » et qu'on se tuait à bout portant. Le duc de Württemberg, étonné de la résistance des Français, fit alors avancer les bataillons Danois tandis qu'une batterie de canons couvrait nos régiments d'une pluie terrible de mitraille. En un clin d'oeil, nous perdîmes quinze-cents hommes. Bourbonnais recula et céda sous l'ouragan de feu . L'ennemi se rendit maître des premières haies et s'empara de six pièces d'artillerie. Mais là, pour le moment, l'ennemi se borna à son premier succès car le prince de Conti, se jetant en avant avec la brigade de Pollier, arrêta la poursuite. Le jeune prince y fut héroïque . Voyant un bataillon qui fuyait à la débandade, Conti prit d'une main « le drapeau colonel », leva de l'autre son épée et s'élança seul au devant de l'ennemi . « Messieurs, cria-t-il aux fuyards, je vous crois trop braves pour m'abandonner car je vous jure que je ne ferai point un pas en arrière . » Sa témérité réussit . Nos gens, à cet appel, se retournèrent, se rallièrent autour du drapeau et firent tête aux assaillants . Le duc de Chartres, également présent sur ce point agissait, comme son cousin, en digne fils de France. Son jeune age inspirait des craintes au maréchal Luxembourg : « Je l'avais supplié, mande Luxembourg au Roy, de se tenir à la réserve, lui donnant ma parole que je trouverais un temps pour le faire agir... Mais, au commencement du combat, M. d'Arcy (son gouverneur) me vint dire de sa part qu'il était si touché de s'en aller qu'il voulait que je le laissasse un moment. Je ne pus résister à ses empressements. » Le duc de Chartres, comme on pense, profita de la permission. Il chargea vaillamment en tête de Bourbonnais. M, d'Arcy cherchant à modérer son ardeur emportée : « Monsieur, répliqua-t-il, je ne connais ici de gouverneur que mon épée. » Une balle perça son justaucorps, traversant « d'une épaule à l'autre », sans entrer dans la chair; il se retourna vers ses gardes « Suivez-moi, je ne suis pas blessé ! » Presque aussitôt un second coup l'atteignit au bras droit qu'on crut d'abord cassé. On pansa rapidement la plaie par bonheur peu profonde. Il prétendait retourner à la charge mais le maréchal Luxembourg intervint et lui intima l'ordre formel de rejoindre son poste, à la réserve de l'armée. Ce premier engagement fut suivi d'un répit qui ne fut pas de longue durée. Le duc de Württemberg en profita pour essayer une manoeuvre audacieuse. À la faveur des haies et des broussailles, il se coula doucement avec huit bataillons Alliés vers le centre de notre ligne . Puis, par un rapide volte-face, il se rabattit sur l'aile droite Française et la prit par le flanc, tandis qu'au même moment la division Anglaise de Mackay la poussait brusquement en tête. Sous cette double pression, nos deux premières lignes Françaises fléchirent, sans désordre il est vrai, mais en abandonnant une nouvelle batterie de canons que l'ennemi tourna contre nous. Le duc de Württemberg, assemblant alors toutes ses forces, s'établit solidement en face du village de Steinkerque et fit placer des « chevaux de frise » sur le front de sa ligne . Par la suite, derrière ce fragile rempart, il ouvrit un feu de mousqueterie qui fut extrêmement meurtrier. Ces deux graves échecs, coup sur coup, commençaient d'ébranler le moral de nos gens et la journée semblait compromise. Le maréchal Luxembourg jugea qu'il était temps de mettre, comme il dit, « ses meilleures pièces en oeuvre » . Luxembourg appela la brigade des Gardes Françaises, le régiment des Gardes Suisses, toute l'infanterie Française de la Maison du Roy et les joignit à ce qui restait des brigades décimées de Pollier et de Bourdonnais. A la tête de ces troupes d'élite, Luxembourg plaça le prince de Conti, le duc de Bourbon, les deux Vendôme, le prince de Turenne, les ducs de Berwick et de Villeroy, sans compter ses trois fils, le duc de Montmorency, le Comte de Luxembourg, le chevalier de Luxembourg, toute une pléiade de princes avec la fleur de la noblesse . Luxembourg, lui-même, annonça l'intention de se porter au premier rang pour « charger à pied » avec eux . Ce fut avec beaucoup de peine que l'on parvint à l'y faire renoncer . Il se contenta donc de parcourir les lignes, donnant aux chefs comme aux soldats des instructions précises. Quand il vint à passer devant la Grand-Prieur: "Pour vous, mon prince, lui cria-t-il, je n'ai rien à vous dire Monsieur le maréchal, lui répondit Vendôme, mort ou vif, je mériterai aujourd'hui l'éloge des honnêtes gens. " Comme les fusils Anglais tiraient plus vite que nos mousquets, le maréchal Luxembourg recommanda partout qu’on aborda l'ennemi de près et qu’on usât de l’arme blanche. Il donna ensuite le signal. La colonne Française s'ébranla et marcha vivement à l’attaque, le mousquet sur l'épaule “ avec une fierté qui ne fut interrompue que par la gaîté des officiers et des soldats .” "Ce fut, écrit d'Artagnan, le plus beau spectacle qui se puisse s'imaginer ! ". Les décharges, les volées de mitraille, rien n’arrêtait ce bloc de fer, n'arrêtait cette marche inflexible . L'ordre des rangs n'était même pas troublé . D'un bout à l'autre de la ligne, un même cri se faisait entendre: "L'épée à la main ! L'épée à la main ! Ne tirez pas! ". Et ce fut en effet "l'acier qui fit toute la besogne ." Les Gardes du Roy les premiers entrèrent dans le carré . Les autres régiments Français passèrent par la trouée, aucune barrière ne put tenir devant une poussée si terrible. Les bataillons Anglais, disloqués et rompus, se firent hacher sur place. Peu habiles à manier les épées et les piques; ne pouvant, dans cette mêlée, mettre leurs fusils en usage, ils n'opposèrent guère à nos gens qu'une résistance inerte et le carnage en fut affreux. La division Anglaise de Mackay fut entièrement anéantie . De ses cinq régiments, les plus beaux d'Angleterre, on peut dire qu'il ne resta rien . Mackay ne voulut pas survivre à ce désastre, il refusa quartier et fut percé de coups ."Que la volonté de Dieu s'accomplisse ! "dit en tombant le vieux soldat. Trois autres généraux Anglais : Douglas, Lanier et Montjoy furent tués ou pris à ses cotés. Ou recouvra tous les canons, précédemment perdus, plus une dizaine des leurs. L'aile gauche des Alliés tout entière fut bientôt en déroute . Sans le comte d'Owerkerque, qui lui amena du renfort à propos et soutint la retraite, elle n'eût pas évité la destruction totale. Le poids de la journée, du côté des Alliés, fut principalement supporté par le contingent Britannique. « Ce fut toute l'infanterie Anglaise et Danoise qui eut à mordre », écrit le comte de Mérode. On assure que le comte de Solms, général des États de Hollande, voyant ce corps en péril, refusa de le faire soutenir: « Je suis curieux, aurait-il dit, de voir comment s'en tireront les bouledogues . » Il s'éleva dans toute l'Angleterre un grand cri de colère contre ceux que l'on accusait d'avoir sacrifié ces belles troupes . Dans le camp des Alliés, à la suite de cette journée, ce ne fut pendant quelque temps que "discorde et mécontentement ". Dans cette glorieuse action, nos princes se surpassèrent et Conti plus que tous les autres. « On le voyait partout », courant aux endroits les plus chaud, animant les soldats et combattant comme eux. Il eut, à quelques minutes d'intervalle, deux chevaux tués sous lui . L'un fut atteint tandis qu'il se cabrait d'une balle qui, sans ce mouvement fortuit, aurait frappé le prince en pleine poitrine: « Décidément, dit-il en riant, ils en veulent à mon écurie ! » Enfourchant une troisième monture, Conti s'élança de plus belle à la charge . Toute l'armée Française, le soir de l'affaire, répéta d'une seule voix que "l'âme du grand Condé avait dû passer ce jour-là dans le corps de son neveu ." Aux abords de Steinkerque, l'action paraissait terminée mais Luxembourg ne savait pas ce qui se passait sur sa gauche, « les bois de Thion et du Petit Enghien m'empêchant, écrit-il, de voir si les ennemis se portaient de ce côté-là ». Il y courut . Les choses y étaient en bonne voie. Le général qui dirigeait cette aile de armée, le brave comte du Montal ( qui, plus que septuagénaire, gardait l'ardeur de ses vingt ans ) s'était vu assailli, un peu après l'heure de midi par des forces considérables. Il s'était conduit de telle sorte qu'on n'avait pu le déloger . Voici d'ailleurs comme il raconte lui-même, en son style fruste d'homme d'action, le début de cette lutte : "Je n'entre point au détail, laissant cela à M. de Luxembourg, mais je vous dirai seulement que tous les bataillons de cette gauche furent employés assez utilement, et avec tant de valeur, qu'ils ne résistèrent pas seulement aux ennemis, mais qu'allant à eux, ils les renversèrent et menèrent battant, à coups de baïonnettes, de piques et d'épées, deux ou trois cents pas, jusqu'à une petit bois taillis où il se jetèrent . Afin qu'ils ne s'y arrêtassent point, je fis entrer pêle-mêle avec eux les deux premiers bataillons du Roy, les deux Dauphin, deux des Vaisseaux, qui en tuèrent beaucoup et poussèrent le reste jusque hors des bois ." Ce premier engagement venait de prendre fin quand arriva le maréchal. Luxembourg mit de l'ordre dans les lignes et commanda qu'on attendit qu'il eût expédié du renfort avant de pousser plus en avant . Mais les colonels insistèrent pour que l'on continuât, sur le champ, la poursuite sans laisser refroidir l'ardeur enragée de nos soldats Français . Luxembourg céda devant ces instances et permit de charger . "Aussitôt tous les régiments Français ont sauté les haies et les fossés et sont allés aux ennemis avec telle furie qu'ils les ont chassés de jardin en jardin, de haies en haies, de fossés en fossés, les assommant à coups de crosse quant les épées et baïonnettes se trouvaient rompues . Ce combat fut fort chaud, dit de son côté Luxembourg, car c'était un pays fourré et coupé d'une infinité de haies dont ces brigades ne chassaient point les bataillions qui leur étaient opposés sans en trouver de frais qui venaient pour soutenir les leurs et d'autres qui occupaient les postes que ceux-là ne faisaient que quitter. " Cette chasse, dit-il encore, dura près de trois heures et demie, « après quoi, ils firent leur retraite à la faveur de leur seconde ligne, nous laissant les maîtres du terrain, de leurs morts, de trois pièces de canon, et de beaucoup d'armes et de chevaux de frise ». A sept heures de relevée, d'un bout à l'autre de la ligne, nous avions l'avantage . Des estafettes annonçaient l'arrivée imminente de la division de Boufflers qui allait nous fournir dix mille hommes de troupes fraîches. Guillaume craignit un écrasement complet. Il fit sonner la retraite. Luxembourg écrivit au Roy : "Leurs bataillons les plus avancés se retirèrent à ceux qui étaient derrière, et insensiblement se trouvèrent dans le chemin qu'ils avaient fait le matin pour venir nous attaquer. Nous les suivîmes une grande demi-lieue, sans trouver de jointure pour les charger... Leur cavalerie disparut si vite que, quand nous arrivâmes, nous ne vîmes plus d'escadrons. Pour l'infanterie qui avait un pays très fourré et favorable, elle se retira en bon ordre et la nuit étant venue, je crus qu'il valait mieux faire rentrer l'armée de votre majesté dans son camp que de nous attacher à une poursuite inutile. " Le corps du marquis de Boufflers, survenu sur cette entrefaite, coucha sur le champ de bataille. Ainsi prit fin cette journée mémorable, l'une des plus chaudes et des plus sanglantes de cette guerre. La perte des Alliés fut évaluée à douze mille hommes . La promptitude de leur retraite fit qu'ils laissèrent sur place un très grand nombre de blessés . Luxembourg les fit recueillir et commanda qu'on les soignât à l'égal des Français. Le duc de Chartres renchérit sur cette mesure d'humanité . Il envoya ses propres équipages chercher tous ceux qui respiraient encore, sans distinction d'ennemis ou de compatriotes et les fit panser à ses frais. Ce trait, rapporté à Versailles, lui fit beaucoup d'honneur : « Je suis ravie, écrit la duchesse d'Orléans à Dubois, que la blessure de mon fils aille bien mais ce qui me fait autant de plaisir que sa bonne santé, c'est de voir qu'il est charitable et bon . C'est là, à mon gré, la véritable dévotion que les gens de sa sorte doivent avoir car je crois que le bon Dieu ne les fait que pour assister leur prochain et cela vaut mieux que de dire tous les offices et psautiers... » L'ennemi abandonnait encore entre nos mains environ treize cents prisonniers, douze canons, autant de drapeaux. Maie ces trophées nous coûtaient cher: près de huit milles hommes hors de combats, dont sept cent officiers . Le prince de Turenne y fut tué tout jeune qu'il fût . Il portait dignement son nom et sa mort excita des regrets unanimes . Le chevalier de Tilladet, le marquis Bellefond, le chevalier d'Estrades, Stoppa,, Pollier, Saint-Florentin, partagèrent le même sort . "Messieurs, disait le soir le maréchal à son état-major, le prince d'Orange a eu l'honneur d'être battu aujourd'hui par les princes et la noblesse de France. ". Autant les batailles de Leuze et de Fleurus avaient prouvé que rien ne valait la cavalerie Française, autant la bataille de Steinkerque prouva la suprématie de l’infanterie Française . L'éclat de la renommée du Roi Guillaume Trois d'Angleterre en pâlit, reconnaît le plus réputé des historiens Anglais . Ses admirateurs furent forcés d'avouer que, sur le champ de bataille, il n'était pas de force à lutter contre le maréchal Luxembourg .
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